Grand Prix et petit poids

Ces derniers temps, on a beaucoup parlé du poids des pilotes de Formule 1. Notamment à propos du grand – dans tous les sens du terme – Nico Hülkenberg, dont la taille et le poids pourraient constituer un handicap aux yeux de son futur employeur, en raison de la future réglementation. De quoi s’agit-il exactement ?

En dépit de la baisse de cylindrée des futurs V6 turbo (de 2400 à 1600 cm3), les groupes propulseurs 2014 seront beaucoup plus lourds que les V8 actuels en raison de l’ajout de deux systèmes de récupération d’énergie : l’ERS-K ­ (l’équivalent du KERS, mais deux fois plus puissant) et l’ERS-H, qui récupère les calories dégagées par les gaz d’échappement.

Le poids minimal théorique de la “power unit” passera dès lors de ± 120 kg aujourd’hui (95 kg + environ 25 kg de KERS) à 145 kg l’an prochain, soit 25 kg de plus (le réservoir sera certes plus petit, mais ce paramètre n’intervient pas dans la définition du poids minimal de la monoplace). A ce surplus il faut encore ajouter la masse des batteries ainsi que celle des radiateurs qui seront redimensionnés, les besoins en refroidissement étant plus importants (comme on le voit ci-dessous avec cette image du V6 Renault 2014 équipé de batteries et d’un radiateur).

Pour compenser cette augmentation, le règlement 2014 a fait passer le poids minimal des voitures de 642 kg à 690 kg. Sur le papier, les 48 kg ainsi gagnés compensent les 45 kg perdus (25 kg + 20 kg de batteries, poids minimal imposé par le règlement). Sauf qu’il s’agit là de limites théoriques, d’un poids idéal. Les ingénieurs se sont rendu compte que les groupes propulseurs allaient être plus lourds que prévu et qu’ils allaient avoir du mal à construire une voiture sous le poids minimal, ce qui est un impératif en F1. En effet, si la monoplace est en dessous de ce poids, les ingénieurs disposent d’une marge pour installer des instruments de mesure (afin d’étudier le flux aérodynamique notamment) et placer du lest sur le fond plat, en vue d’abaisser le centre de gravité. Ne parlons même pas de l’éventualité de fabriquer monoplace au-dessus du poids minimum, exclue d’avance : chaque 10 kg excédentaire coûte en moyenne trois dixièmes de seconde au tour.

10 kg de moins pour Vettel

Bref, la chasse aux kilos est ouverte et porte désormais sur tous les paramètres, y compris le poids du pilote (qui n’était pas mis en cause auparavant, car les F1 actuelles sont facilement en dessous de la limite). “Nous avons relevé le poids minimal, explique le patron de McLaren, Martin Whitmarsh,  mais les nouveaux groupes propulseurs sont plus lourds que ce que nous avions imaginé, ce qui nous met dans une situation où les pilotes les plus lourds risquent de représenter un désavantage.” Ainsi, mettre Nico Hülkenberg dans le cockpit de la Sauber, c’est inviter 13 kg de plus à bord qu’avec Esteban Gutiérrez. Aujourd’hui, la différence peut être compensée (en mettant moins de ballast sur la voiture de l’Allemand), mais il n’y aura pas autant de marge sur les bolides de l’année prochaine. Ce qui pénalise les pilotes les plus lourds. “On a déjà vécu cela en 2009 quand le KERS a débarqué en F1, explique l'actuel pilote Sauber. Les pilotes ont été obligés de perdre du poids. Malheureusement je suis comme je suis, c’est-à-dire grand et donc plus lourd mais pas plus lourd que certains. Je ne sais rien y faire. Si une écurie me veut, elle devra s’y adapter.”

Généralement bien informé, Mark Gillan, ancien chef des opérations chez Williams et désormais consultant pour le site de notre confrère James Allen, fournit quelques indications : Sebastian Vettel pèserait 64 kg, Esteban Gutiérrez 61 kg, Jenson Button 70 kg, Paul Di Resta 74 kg, Mark Webber et Nico Hülkenberg 75 kg, Adrian Sutil 78 kg. Lewis Hamilton a déclaré il y a quelques jours peser 71 kg. De ce strict point de vue, il serait moins intéressant d’engager Hülkenberg que Massa... Mais d’autres paramètres sont bien entendu à prendre en compte, comme le rappelle Éric Boullier, possible futur patron du pilote allemand : “Je préfère avoir du talent et laisser mes ingénieurs chercher où gagner du poids sur la voiture. Il est vrai que 10 kg représentent environ trois dixièmes de seconde, mais l’objectif reste bien d’être au moins au poids limite. Dans ce cas-là, le problème ne se pose plus.” En outre, rien n’empêcherait de demander à l’incroyable Hülk de perdre 3 à 4 kg… Mais il y a des limites à ne pas dépasser, comme le rappelle Jenson Button : “La situation actuelle pénalise les pilotes plus lourds, et il est injuste de nous demander de perdre du poids, car certains d’entre nous ne peuvent plus perdre un gramme. En revanche, relever le poids minimum de cinq à dix kilos serait une mesure simple à prendre.”

Des discussions ont bien eu lieu au sein du Technical Working Group et du GPDA (l’association des pilotes de Grand Prix qui s’est réunie en Corée), mais sans que les équipes parviennent à se mettre d’accord pour rehausser le poids minimal. Car, sans surprise, les formations qui sont en passe de relever le défi, ou qui sont très proches de la limite (grâce à leur savoir-faire technologique ou parce qu’elles ont des pilotes légers), sont peu enclines à abandonner leur avantage…

http://www.f1i.com/f1i-features/grand-prix-petit-poids/